Du 30 avril au 18 juin 2016
Vernissage : Le samedi 30 avril de 15h00 à 17h00
La biennale d’art contemporain autochtone (BACA), 3e édition
Culture Shift – Une révolution culturelle
Commissaire invité : Michael Patten
Art Mûr
5826 St-Hubert
Montreal (QC)

KC Adams (Métis), Joi T. Arcand (Muskeg Lake Cree), Naomi Bebo (Ho-Chunk, Menominee), Lance Belanger (Maliseet) & Kitty Mykka, Edgar Heap of Birds (Cheyenne, Arapaho), Ludovic Boney (Huron-Wendat), Bruno Canadien (Dene), Ruth Cuthand (Plains Cree), Wally Dion (Saulteaux), Melissa General (Oneida, Mohawk), Dyani White Hawk (Sicangu Lakota), Richard Heikkila-Sawan (Cree, Mohawk) Luzene Hill (Eastern Band of Cherokee), Maria Hupfield (Wasauksing), Brad Isaacs (Mohawk / Origines mixtes), Jeff Kahm (Plains Cree), Neon Kohkom, Bev Koski (Anishnabekwe), Jason Lujan (Chiricahua Apache), Amy Malbeuf (Métis), Caroline Monnet (Algonquine), Nadia Myre (Algonquine), Sarah Sense (Chitimacha, Choctaw), Duane Slick (Meskwaki), Rolande Souliere (Michipicoten), Marie Watt (Haudenosaunee), Nico Williams (Ojibwe).

Texte de Michael Patten

Le 15 décembre, 2015, suivant 72 mois de consultation, la Commission de vérité et réconciliation du Canada – créée pour établir les bases de la réconciliation entre le Canada et les Premières Nations1 – a finalement publié un rapport de près de 4000 pages. Le document comprend de nombreux témoignages, ainsi que 94 appels à l’action, dont la plupart sont adressés aux gouvernements fédéraux, provinciaux, territoriaux, et à leurs organismes. Suite à la récente publication du rapport, et compte tenu de sa facilité d’accès en ligne, l’occasion est toute indiquée pour réfléchir à l’histoire coloniale que nous comme descendants autochtones ou colons. Nous sommes à un carrefour important de l’histoire de notre pays et le chemin que nous choisirons d’emprunter aura un impact énorme sur le type de relations que le Canada entretiendra avec les Premières Nations d’Amérique du Nord.

La Biennale d’art contemporain autochtone participe à l’exercice de réconciliation par son mandat, qui consiste à souligner la pluralité des pratiques artistiques issues des cultures autochtones d’Amérique du Nord à un public toujours plus grand, autochtones et non-autochtones. Les artistes promeuvent des messages, des histoires et des idées que la Biennale cherche à défendre au sein du paysage artistique national.

Les œuvres réunies dans Culture Shift – Une révolution culturelle témoignent du riche héritage de la culture autochtone dont la variété des techniques traditionnelles, des motifs et des sujets continuent de nourrir la production d’artistes autochtones. Certains participants détournent les codes de l’art institutionnalisé afin de critiquer le statut quasi-anthropologique réservé à l’art autochtone. Alison Bremner récupère les images de certains des plus grands canons de l’histoire de l’art sur lesquels qu’elle intervient en les « autochtonisant » à l’aide de remarquables masques Tlingit. Le résultat de ces images hybrides atteste de la position des femmes autochtones comme objet d’un double « regard » masculin et colonisateur. De même, Sonny Assu subvertit des paysages pastoraux qui mythifient l’expérience autochtone avec de menaçants motifs «étrangers» rappelant l’art formline. Son travail se réclame de l’imaginaire associé à l’art de la côte nord-ouest. Rappelant des graffitis sur un mur, ces motifs ajoutés détournent le message de l’image originale et subvertissant le mythe qu’elle tente de transmettre. Jeff Kahm, quant à lui, déploie une stratégie plus subtile qui mêle des motifs autochtones récurrents tels des rayures et des formes géométriques, à l’esthétique moderniste associée à la Colourfield Painting et à l’abstraction géométrique. Pour Kahm, le résultat de cette fusion explore « la confluence du temps et de la culture à un niveau métaphorique et qui résonne de manière universelle. »

Bon nombre des projets de l’exposition aspirent à réaffirmer l’identité autochtone au sein de la contemporanéité tout en reconnaissant les conséquences du colonialisme. Certaines œuvres explorent l’affirmation difficile d’une identité autochtone aux suites de décennies d’assimilation forcée et dans le contexte de l’héritage colonial de nord-américain. Luke Parnell, l’artiste en résidence à la Galerie d’art Stewart Hall aborde des questions tels les droits législatifs, la propriété et le privilège. Il transpose la conception traditionnelle de l’art haïda (des totems, par exemple) à une pratique profondément ancrée dans le récit colonial de la côte nord-ouest de la Colombie Britannique, d’où il est originaire.

L’universitaire, artiste et ancien participant de la Biennale de l’art autochtone contemporain, David Garneau, a écrit que la décolonisation culturelle est le désir des « Premières nations, des Inuits et des Métis de s’affirmer non pas par une assimilation forcée des modes non-autochtones, ni par un retour à une reconstruction anachronique de la pureté culturelle indigène, mais en luttant pour de nouvelles façons d’exister en tant qu’autochtone au sein d’une société au prise avec des questions identitaires complexes. » Je crois qu’à travers leur travail, de nombreux artistes inclus dans ma sélection participent à ce même projet qui est de tester différentes suggestions. Ce qu’ils ont créé a donné lieu à une révolution culturelle.

Selon Garneau, il y a aussi un « désir radical [que] les Canadiens et leurs institutions s’indigénisent. Dans le contexte canadien la décolonisation culturelle s’active également à déranger les colonisateurs et, ironiquement, les aider à s’adapter comme individus non-coloniaux au sein d’espaces autochtones. » La Biennale d’art contemporain autochtone vise également la promotion d’idéologies et de façons d’envisager le monde propres aux Premières Nations, qui offrent un potentiel social et culturel pour tous les citoyens de l’Amérique du Nord. Le virage culturel dont il est question implique également les non-autochtones. Il vise à les initier aux cultures autochtones afin de reconnaître comment elles peuvent influencer une société plus égalitaire et bienveillante. Les photographies de Melissa General permettent d’examiner cette question. Celles-ci représentent des images de la terre d’origine de l’artiste sur lesquelles reposent des lignes patrons des costumes cousus par sa mère lorsqu’elle était jeune. La série photographique se veut une invitation à établir un nouveau type de relation à notre environnement, qui ne serait pas dominée par des revendications de propriété, mais plutôt par la gratitude et le respect.

Si le gouvernement fédéral de Justin Trudeau suit les nombreuses recommandations formulées dans le rapport de la Commission de vérité et de réconciliation du Canada et dans la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones citée à plusieurs reprises dans le rapport de la commission, le changement culturel qui s’entame actuellement à l’échelle nationale impliquera l’ensemble de la population du Canada et pourrait avoir des retentissements au sud de notre frontière. L’exposition Culture Shift – Une révolution culturelle témoigne de ce tournant artistique et de l’aspiration d’un avenir où les peuples autochtones et non-autochtones cohabiteraient dans la paix, avec considération et appréciation pour l’autre.

 

1. La Commission de vérité et reconciliation du Canda. Honorer la vérité, réconcilier pour l’avenir, sommaire du rapport final de la Commission de vérité et réconciliation du Canada. Disponible en ligne : http://www.trc.ca/websites/trcinstitution/File/French_Exec_Summary_web_revised.pdf (2015): 10.
2. Traduction libre de la démarche de l’artiste Jeff Kahm sur son site Internet: http://www.jeffkahm.com/#!statement/c1w19
3. David Garneau, “Extra-Rational Aesthetic Action and Cultural Decolonization,” FUSE Magazine, vol. 36 no. 4 (2013): 15-16.
4. ibid.